La France championne du monde 
pour la consommation des
drogues psychotropes 

 

LA  FRANCE  MEDAILLE  D ‘ OR  DES  PILULES  DU  BONHEUR


LE  NOUVEL  OBSERVATEUR  - 5-11 septembre 1996, Fabien GRUHIER

8O millions de boîtes de tranquillisants consommées chaque année

    Sommes-nous les gens les plus déprimés de la terre ?  Non. Pourtant, un livre-rapport du professeur Zarifian établit de façon irréfutable que notre pays consomme de deux à quatre fois plus d’anxiolytiques, hypnotiques, antidépresseurs et autres neuroleptiques que n’importe quel autre pays européen. Voici Pourquoi.

    (…) Reste une triste vérité. On le sait depuis longtemps, on ne cesse de le dire, de le répéter, de l’écrire et de le lire partout : la France est la championne du monde toutes catégories pour la consommation des drogues psychotropes, ces fameuses petites pilules du bonheur – tranquillisants, hypnotiques, antidépresseurs et autres neuroleptiques

    On l’a même tellement entendue, cette triste affirmation, que l’on finit par ne plus y prêter attention, par vivre avec, car on s’habitue à tout. Comme d’autre part la France est un pays où il fait tellement bon vivre, n’est-ce pas, il n’y a aucune raison que tellement de gens y soient déprimés.  De plus, nous détenons également le ruban bleu de la consommation de vin, excellent antidépresseur naturel. Alors on finit par ne même plus croire à ces funestes statistiques, on se dit qu’il doit y avoir une erreur de calcul quelque part dans les comptes d’apothicaires, et que cette surconsommation médicamenteuse alléguées est une sorte de monstre du Loch Ness, dont on parle tout le temps et que l’on ne voit jamais.

    Pourtant, début 1995, Simone Veil, alors ministre de la santé, décida d’en avoir le cœur net : elle confia à Edouard Zarifian, professeur de psychiatrie et de psychologie médicale à l’université de Caen, une mission d’étude sur cette boulimie française pour les psychotropes, sur ses causes, sur ses mécanismes, et sur les conséquences de ce qui apparaît désormais comme un véritable phénomène de société. Edouard Zarifian a remis son rapport officiel au ministère de la Santé au printemps dernier. Il vient d’en tirer un livre (1), destiné au grand public,  qui devrait se trouver en librairie à partir du 11 septembre. Et qui, attirant une large attention sur le problème, contribuera peut-être à éviter que le rapport Zarifian ne s’endorme dans les tiroirs du ministère. Ainsi, certaines des solutions suggérées seront-elles éventuellement mises en œuvre, malgré les puissants intérêts qui militent pour le statu quo.

    Car le doute n’est désormais plus permis. Non, il ne s’agit pas d’une rumeur infondée, mais d’une réalité : la France consomme en moyenne, et selon les catégories de produits, de deux à quatre fois plus de psychotropes que n’importe quel autre pays européen.  Les chiffres ne sont pas contestables, et pour cause, explique Edouard Zarifian : « Ils proviennent de sociétés privées spécialisées qui vendent leurs informations aux laboratoires pharmaceutiques, pour permettre à ces derniers d’affiner leur marketting. » Car, il faut le savoir, les médicaments les plus sérieux, y compris ceux destinés au cerveau, sont, tels les yaourts ou les chaussures de sport, l’objet de stratégies commerciales sophistiquées. Le but n’est pas (chacun son métier) de soigner les gens, mais de leur vendre des molécules. (…)
Mais revenons aux chiffres de vente, pays par pays, région par région, et ville par ville : ils sont d’autant plus exacts que, s’ils étaient bidonnés, les laboratoires pharmaceutiques, pas fous, ne les achèteraient pas. Or, globalement, ces chiffres montrent que la France (avec de fortes disparités régionales) est largement championne pour les quatre catégories de psychotropes. Elle en consomme trois fois plus que l’Allemagne ou la Grande-Bretagne, et largement deux fois plus que l’Italie.

     Parmi ces psychotropes, c’est avec la catégorie des tranquillisants que nous nous distinguons de la façon la plus radicale : deux fois plus que les Espagnols, cinq fois plus que les Allemands, huit fois plus que les Anglais ! Seuls les Belges font relativement « bonne » figure en se rapprochant de nos records. (…) Au  total, avec près de 8O millions de boîtes vendues chaque année, le marché français des seuls tranquillisants représente un bon milliard de francs. Avec les hypnotiques, la situation est la suivante : deux fois plus que l’Allemagne ou l’Italie, et nettement plus que le Royaume-Uni. Du côté des neuroleptiques et des antidépresseurss, l’exception française est un peu moins marquée, mais nous restons toujours bons premiers, et de loin. Pourquoi ?

    Bien sûr, on pourrait penser que les Français sont, traditionnellement, un peuple de … drogués à l’alcool. Et comme, même si nous en demeurons les champions ou peu s’en faut – cette consommation d’alcool est en nette régression, il serait logique de compenser par autre chose, en l’occurrence, les psychotropes. Mais cette explication simpliste ne colle pas du tout, car la comparaison des disparités régionales, pour l’absorption de vins et alcools d’une part, de psychotropes de l’autre, montre qu’il n’y a strictement aucun rapport. Ce n’est ni là où l’on boit le moins (ou le plus) qu’on se drogue le plus (ou le moins). Les deux cartes sont indépendantes, et toute coïncidence éventuelle, dans un sens ou dans un autre, ne saurait être que le fruit du hasard. (….) Ce ne sont pas les malades qui en auraient le plus besoin qui en consomment le plus. Au contraire, assure Edouard Zarifian, car « les patients auxquels ces produits sont destinés, et qui ont vraiment un bénéfice à en attendre, sont toujours les plus réticents. Ils ne les demandent pas, et ne se laissent généralement  prescrire qu’avec une certaine méfiance ». Résultat : on peut être à la fois le pays qui absorbe le plus de pilules psychotropes et celui où la grande majorité des déprimés sont peu ou mal soignés.

    Mais pourquoi diable les médecins prescrivent-ils ces produits à tour de bras à des gens qui n’en ont pas réellement besoin – lesquels ne les réclament que pour pouvoir se droguer sans quitter le cadre de la légalité, préférant donc s’adresser à un médecin plutôt qu’à un dealer ordinaire, avec l’avantage du remboursement en plus ?
    Selon le Professeur Zarifian, ce véritable détournement de la médecine s’explique de plusieurs façons. D’une part, les généralistes, responsables de 8O % des prescriptions de psychotropes, sont insuffisamment formés au sujet de ces produits. D’autre part, mal rémunérés, ils sont bien forçés de « faire du chiffre » donc de multiplier les actes. Or la meilleur façon de mettre fin à une consultation, c’est de rédiger une ordonnance. « En particulier, il est plus rapide de prescrire un tranquillisant que de prendre le temps d’écouter son patient ». Enfin, il y a une mode – déplorable : c’est la « médicalisation systématique du moindre vague à l’âme ».

    Ici, il faut le dire, c’est la faute aux Américains ! Car, selon Edouard Zarifian, en France comme en Europe et partout ailleurs dans le monde, avec la bénédiction de l’OMS « la médecine clinique psychiatrique est totalement inféodée au modèle nord-américain. La psychopathologie a disparu, et nous débouchons sur une sorte de psychiatrie automatique, avec son catalogue de symptômes répertoriés, informatisables, correspondant chacun à une combinaison médicamenteuse ». Plus question d’écouter le malade, considéré comme un être unique plongé dans un environnement particulier. Il doit se comporter en bon cobaye standard, avec une affection numérotée. Pour le soigner, on tape le numéro sur un ordinateur, et le remède (chimique bien sûr) s’affiche sur l’écran. (….)

    Mais alors, pourquoi souffririons-nous davantage que les Américains eux-mêmes et que tous les autres pays de la planète qui y sont soumis, de ce modèle psychiatrique américain ? « C’est que, répond le Professeur, ce modèle s’applique chez nous sans le moindre contrôle, sans le moindre contre-pouvoir ». C’est le règne de la pensée unique par le jeu de la double casquette : la plupart des experts de l’Agence du Médicament, des universitaires et chercheurs influents dans les instances nationales de la santé publique, sont aussi « consultants  auprès des laboratoires pharmaceutiques, ou dépendent d’eux pour le financement de leurs recherches ». D’où une fâcheuse confusion des genres : « Aux Etats-Unis, au moins, lors de la publication d’un travail scientifique, on est tenu de mentionner ses sponsors ».
    Quelles qu’en soient les causes, il reste à évaluer les conséquences pour la santé publique de cette imprégnation très française de la société par un excès de psychotropes, avec des millions d’ « accros » qui font renouveler leurs ordonnances sans se savoir dépendants. Chez nous, par exemple, et contrairement à ce qui se passe dans de nombreux pays d’Europe du Nord, il n’existe aucune interdiction de conduire une automobile lorsque l’on est sous l’effet de ces substances, sources avérées de troubles de la mémoire et de la vigilance.

(1) « Le Prix du bien-être. Psychotropes et société », par Edouard Zarifian, Odile Jacob, 29O pages.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


Le gouvernement interdit le remboursement d’un médicament anxiolytique trop prescrit
Le Monde – 29/1/1998, Jean-Yves Nau

    Le secrétariat d’Etat à la santé vient de décider d’interdire le remboursement du Lysanxia (dosé à quarante milligrammes), l’un des anxiolytiques les plus prescrits en France. Les autorités sanitaires estiment que ce médicament est trop prescrit et à des posologies trop élevées. Une telle mesure, exceptionnelle, pourrait être prise pour d’autres anxiolytiques, comme le Temesta, le Valium ou le Tranxène.

    Après le Lysanxia, d’autres produits pourraient faire l’objet d’une telle sanction.

    Perçue comme un vigoureux coup de semonce, l’affaire agite le monde de l’industrie pharmaceutique et, par contrecoup, ceux de la psychiatrie et de la médecine générale. Dans un communiqué en date du 26 janvier, le ministère de l’emploi et de la solidarité, ainsi que le secrétariat d’Etat  à la Santé, ont annoncé que l’un des médicaments anxiolytiques parmi les plus connus des prescripteurs français – le lysanxia de la multinationale Parke-Davis – ne serait plus, dans sa présentation à quarante milligrammes, remboursé par la Sécurité Sociale.
Ce médicament existe aujourd’hui en France sous trois formess : des comprimés à dix milligrammes (commercialisés depuis 1975), des comprimés à quarante milligrammess (commercialisés depuis 1983). Le Lysanxia est l’un des anxiolytiques parmi les  plus traditionnels dont le principe actif est le labenzodiazépine « prazépram ».. Son usage est conseillé dans différentes formes d’anxiété (réactionnelle,  post-traumatique, névrotique, hystérique, hypocondriaque, généraliséee), dans la crise d’angoisse, la prévention et le traitement du délirium tremens, ou encore le sevrage alcoolique. Le dosage à quarante milligrammes est, précise le  fabricant dans le dictionnaire Vidal, « réservé aux états anxieux sévères résistant à des posologies plus faibles ».
    La décision prise par les autorités sanitaires a, explique-t-on auprès du gouvernement, été prise « après avis de la commission de transparence de l’Agence du médicament au regard des critères énoncés dans le code de la Sécurité sociale ». La réglementation en vigueur fait que tout médicament remboursable doit faire  l’objet, tous les trois ans, d’un réexamen en vue du renouvellement de son inscription sur la liste des substances remboursables aux assurés sociaux. C’est dans ce cadre que la commission de transparence de l’Agence du médicament vérifie si la molécule a été utilisée conformément aux conditions qui ont fondé son inscription. Le cas du lysanxia quarante milligrammes est, à cet égard, exemplaire.
« La commission de transparence a rendu un avis défavorable au renouvellement de l’inscription de ce médicament sur la liste des produits remboursables aux assurés  sociaux. Dans 25 % des cas en effet, ce produit est prescrit à des posologies supérieures à la posologie maximale de l’autorisation de mise sur le marché. Il en résulte une surconsommation de ce médicament qui comporte des risques pour la santé publique et se  traduit par des dépenses injustifiées pour l’assurance-maladie », précisent les autorités sanitaires En d’autres termes, c’est parce qu’il est trop prescrit par rapport aux indications officielles de son autorisation de mise sur le marché que ce médicament ne sera plus remboursé.
« C’est  parce qu’elles disposent de nouveaux éléments leur permettant de mesurer et d’analyser les volumes de prescription de  médicaments que nos autorités de tutelle  ont pu mettre en  lumière ce phénomène ; un phénomène que nous avions pour notre part identifier depuis un certain temps » a-t-on expliqué au Monde chez Parke-Davis. On précise encore ne jamais avoir, via les visiteurs médicaux ou la presse médicale, cherché à obtenir un plus grand nombre de prescriptions de la présentation la plus fortement dosée. Cette dernière est commercialisée 26 francs les vingt comprimés contre 24,80 francs les quarante comprimés de la forme dix milligrammes. Le lysanxia 40 mgr représente un chiffre d’affaires de 20 millions de francs soit moins de 3 % du marché français des tranquillisants.

 

« Dose  maximale autorisée » 


    « C’est la première benzodiazépine retirée du remboursement. Malgré les avertissements, plus du quart des prescriptions de ce médicament dépassaient la dose maximale autorisée, a souligné Jean-François Bénard, président du comité économique du médicament. Le chiffre d’affaire des anxiolytiques atteint 1 milliard de francs annuel. Globalement, il y a surconsommation. Nous sommes en train de procéder à un examen accéléré des autres benzodiazépines à fort dosage comme le Témesta, le Valium, le Tranxène ou l’Urbanyl. S’il s’avère qu’existent de  pareils débordements de prescriptions, la mesure de retrait du remboursement interviendra. » D’une manière plus générale toutes les benzodiazépines seront examinées.

(Une étude  citée dans le rapport du professeur  Edouard Zarifian sur la prescription de médicaments psychotropes – mars 1996 – Le rapport a évalué à 11 % le nombre d’adultes prenant, au moins une fois depuis au moins six mois, un médicament psychotrope, tranquillisant, hypnotique, neuroleptique ou antidépresseur).

  • 8,1 % c'est la croissance des dépenses de remboursement de médicaments en France en 1998, à comparer avec une inflation de O,8 %. Source: Commission des Comptes de la Sécurité Sociale
  • 1432  francs, c'est ce qu'a dépensé en médicaments chaque français, en 1998. 
  • En  Europe, nous devançons l'Allemagne (1114  francs) et l'Italie (938  francs). Source :  IMS  HEALTH


CONSOMMATION    DE  DROGUES  PSYCHOTROPES  :

- tranquillisants
- hypnotiques
- anti-dépresseurs
- neuroleptiques

 

 

Psychotrope  n.m. (anglais Psychotropic Drug ou Mind altering drug)

    Substance naturelle, semi-synthétique ou synthétique, susceptible de modifier l'activité mentale (au niveau de la vigilance, des perceptions, du cours de la pensée, de l'humeur).

 

Tranquilisants


    Se définissent par comparaison avec les autres composés de la famille des psycholeptiques : sur le plan pharmacologique, ils ne sont ni des hypnotiques, ni des neuroleptiques, ni des régulateurs de l'humeur. 
    Les tranquilisants mineurs ont un effet symptomatique sans modifier profondément le cours le la maladie, ni induire d'effets secondaires neurologiques de type extrapyramidal , comme les tranquilisants majeurs.
    Les tranquilisants majeurs pour les Anglo-Saxons (angl Major Tranquillizers), ou antipsychotiques, alors que le Français restent attachés au terme "Neuroleptiques" : effets anti-psychotiques ou neuroleptiques.

 

Antidépresseur n. m. (angl. Antidepressant)


    Substance qui a la capacité d'inverser l'humeur du déprimé (syn. Thymoanaleptique).

 

Neuroleptique


    tranquillisant majeur.

 

Anxiolytique : n. m. Médicament de l'anxiété


    La majorité des anxiolytiques appartiennent à la catégorie des psycholeptiques, ou sédatifs (J. Delay et P. Deniker, 1957). On les situe dans le sous-groupe des tranquillisants mineurs et sédatifs classiques. LAROUSSE, Sciences de l'homme. Dictionnaire de Psychiatrie et de Psychopathologie Clinique, sous la direction de Jacques Postel.

 

Hypnotique


    Globalement,  la  France   (avec  de  fortes  disparités  régionales) est largement  championne pour les 4 catégories de psychotropes. Elle en consomme 3 fois plus que l'Allemagne ou la Grande-Bretagne et 2 fois plus que l'Italie.
Edouard  ZARIFIAN ,  Professeur De Psychiatrie  à  l ' Hôpital  de  CAEN. (propos de 1996).

 

Famille des tranquilisants


La  France  consomme :

  • 2 fois  plus  que  les  espagnols,
  • 5 fois   plus  que  les  allemands,
  • 8 fois   plus  que  les  anglais.  (chiffres  de  1993-95)

SOURCE   :   "Le prix du bien-être"  Edouard ZARIFIAN, Odile Jacob - parution  sept  96.

 

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